AIR
GLACIÈRE
FRANCK DUBOIS & BENOIT PIERRE
À PROPOS DE L'EXPOSITION
Par Thierry Cattan
Il fut un temps où nous avions le temps, où l’avenir s’ouvrait devant nous, lumineux et accueillant, un temps où nous avions l’arrogance de penser que le monde nous appartenait. De certitudes en certitudes, de désirs impérieux en vaines prétentions, la modernité a trahi sa part d’ombre. À vouloir aller toujours plus loin, toujours plus vite, l’avenir s’est embrumé, le temps s’est retourné contre nous.
Par un détour dont nous pourrions sourire s’il n’était pas si inquiétant, c’est à un passé bien lointain que nous sommes aujourd’hui convoqués, en un temps où l’humanité venait à peine de naître. L’ère glaciaire se rappelle à nous alors que des glaces que nous aurions pu croire éternelles se mettent à fondre menaçant de bouleverser l’équilibre écologique de notre planète. Mais il ne s’agit là malheureusement déjà que d’un lieu commun du XXIe siècle auquel l’art peut sans doute apporter sa contribution mais dont il ne saurait se contenter. C’est au-delà du fait climatique, au-delà même des jeux politiques de pouvoir et de domination, dans notre rapport au temps lui-même qu’il faut lire la proposition de Franck Dubois et Benoit Pierre.
Le savant, l’historien conçoivent l’évolution de notre monde comme une succession d’évènements. Mais nous ne saurions véritablement la comprendre sans y percevoir une transformation en profondeur de notre rapport au temps. Toute l’histoire de la modernité qui fut caractérisée comme l’ère de la vitesse doit se lire dans ce changement de paradigme dont Franck Dubois et Benoit Pierre explorent ici différents aspects.
Ainsi, Air glacière questionne tout à la fois le temps isotopique marquant l’évolution de la température terrestre à travers les siècles (Spin) et de ses effets sur la banquise (Banquise) ; le temps de l’évènement et de son effacement (Isflak et Air glacière) ; le temps passé, retravaillé, formalisé, voire idéalisé que nous nommons histoire (Geostory) ; mais aussi le temps de la création et de l’œuvre elle-même (Spin et The white car with the sound of its own filming).
Air glacière part du constat que tout est dans un constant processus de transformation ; comme l’écrit Bergson, le changement est la substance même des choses. La présence d’un être quelconque ou d’un évènement ne se limite pas à son apparition dans un certain lieu à un certain moment ; elle suppose une durée à partir de laquelle chaque être, chaque évènement acquiert son épaisseur particulière, sa profondeur. Les images médiatiques masquent leur superficialité, l’absence, en se démultipliant à un rythme toujours plus rapide. L’œuvre artistique en appelle à une toute autre attention. Elle échappe au spectaculaire, à l’esbroufe. Quelques signes, un craquement de glace, le bruissement d’une œuvre, un simple écart, un vide, prennent corps dans la durée même de notre présence si l’on accepte d’en faire l’expérience et non pas simplement le constat.
Air glacière en appelle donc, sinon à une réaction face aux errements de la civilisation industrielle, du moins à notre présence à ce qui arrive. Elle nous invite à franchir le fossé qui sépare la glacière, comme symbole d’une civilisation de l’évasion et du divertissement, de la banquise, comme symbole de l’évolution de notre planète.